05 Mar. 2020

La collaboration : l'art du soft power

Tendances

Talk Impact à propos des néo-modèles de collaborations engagées


Supreme x Skate DC, Nike x Off-White, Sacai x Undercover, Balenciaga x Crocs, Levi’s Vetements… Les années 2010 ont sans conteste été marquées par la grande messe des collaborations. L’union fait la force et la mode l’a bien compris. Aujourd’hui, une myriade de marques proposent des collaborations le temps d’une collection, d’une capsule ou d’un drop. Alliance créative, savoir-faire mutualisé ou coopération culturelle, la collaboration est bel et bien dans l’air du temps et constitue un moyen efficace pour les marques de rejoindre des consommateurs toujours plus volages et toujours plus complexes dans leur manière d’appréhender leur look. Mais elles sont aussi vecteurs de force, d’ouverture et d’apprentissage pour les griffes en leur permettant d’assimiler les points forts de leurs rivales par un jeu d’entraide et de mutualisation. Dans le cas de la transition écologique, la collaboration est un atout sans équivoque pour diffuser un discours commun et trouver des solutions pérennes dans un modèle éco-rentable qui peine encore à se trouver. C’est autour de ces néo-modèles de collaborations engagées que sont venues débattre Eugénie Fausser et Roxane Gelzer d’Escrin Paris, Sofia Carpentier du groupe scandinave & Other Stories, Sonia Tarkhani des Galeries Lafayette et Marianna Szeib du pop-up Face to Face, autour de la modératrice Chloé Cohen de Nouveau Modèle.

Si la “femme Saint-Laurent” se définissait hier à ce smoking à l’allure androgyne, la femme d’aujourd’hui peut être unisexe, aimer le beige, le vert et le rose, marier le streetwear et le tailoring, la saharienne et les plateformes, le hoodie et la petite robe noire. La femme d’hier n’est plus. L’esthétique qui la réduisait à une marque et à un style non plus. Aujourd’hui, femme et homme sont polymorphes. Ils aiment la métamorphose : bousculer les codes, conjuguer les influences, créer leurs propres uniformes. Face à cette pluralité de styles et à cette volatilité des goûts et des humeurs, la collaboration est une alternative idéale pour les marques de mode afin de renouveler leur style, de pérenniser leur clientèle et d’en séduire une nouvelle. La collaboration s’érige ainsi en arme de séduction massive à condition qu’elle soit maîtrisée et qu’elle réponde à une stratégie définie. Un mariage pour le meilleur et pour le pire donc. L’exemple de Vuitton et Supreme : amen.

Dans le cas de la mode engagée, la collaboration a le vent en poupe et permet de concilier des univers bien distincts. C’est le cas de la marque scandinave & Other Stories qui présentera dans sa boutique du Marais, tout au long du mois de février 2020, cinq créatrices engagées de la sélection Face to Face. “Un pop-up store est très enrichissant mais il faut avoir une stratégie retail plus long terme comme des collaborations, explique Marianna Szeib, la fondatrice du collectif Face to Face. Nous proposons une sélection de créateurs pour montrer un autre visage de la mode et nous souhaitons toucher une clientèle de plus en plus grande.” Pour les fondatrices de la marque Escrin, Eugénie Fausser et Roxane Gelzer, qui présenteront leur collection dans la boutique durant cette collaboration, ce genre d’initiatives est doublement efficace puisqu’elle permet d’accroître leur visibilité tout en sensibilisant de nouveaux clients à l’éco-responsabilité. D’une pierre, deux coups.

La marque & Other Stories, haut de gamme et abordable, détenue par le groupe H&M, propose ainsi de mettre en lumière la création indépendante et le savoir faire unique de ces designers qui ont choisi de concilier durabilité et désirabilité. Les grandes enseignes feraient-elles alors à leur tour l’éloge d’une production éthique et d’une consommation raisonnée ? Face à l’exigence croissante des consommateurs en matière d’éco-responsabilité, & Other Stories, comme d’autres grandes marques, souhaitent en tout cas montrer qu’elles sont dans le sens de l’histoire. Grâce à cette alliance, d’une part le collectif Face to Face, fort de 150 marques engagées, permet d’accroître considérablement sa visibilité et sa notoriété et d’autre part, & Other Stories expose son soutien et sa foi en une mode éthique et à visage humain. “Ce type de collaboration permet également d’approcher une autre clientèle plus locale. Pour une grande marque comme & Other Stories, présente à l’échelle mondiale, c’est un enjeu de taille”, continue Sofia Carpentier, global projet manager. Une collaboration symbolique donc et lucrative.

En 2020, l’éco-responsabilité est un facteur essentiel d’attractivité pour les marques de mode désireuses de montrer qu’elles s’engagent dans cette voie. En s’alliant, de jeunes marques éco-responsables peuvent ainsi mettre en avant des valeurs et des savoir-faire communs et faire front dans un paysage déjà sursaturé par ce discours ambiant, notamment par le greenwashing. Mettre en avant ces marques engagées et ces designers plein d’avenir, c’est aussi le défi de Go for Good, le collectif green des Galeries Lafayette, explique Sonia Tarkhani. En leur facilitant les conditions d’accès à la grande enseigne et en leur permettant une visibilité internationale, le groupe souhaite poursuivre sa vocation de défricheurs de talents. “Depuis la création des Galeries Lafayette, nous soutenons la jeune création. Nous sommes notamment partenaires de l’Andam, qui fêtait ses 30 ans récemment, et nous souhaitons pérenniser cette action en soutenant ces marques engagées qui sont l’avenir de la mode”, conclut Sonia Tarkhani.

La collaboration est donc ce point intermédiaire entre création, art, lifestyle et business. Elle est ce point de départ qui annonce le commencement d’un projet et son aboutissement : cette promesse d’ouverture et cette volonté de s’engager vers quelque chose de plus grand. Eastpak x Ader Error, Ambush x Converse, Moncler x JW Anderson… Dans une discipline autrefois ultra-concurrentielle, opaque et segmentée, ces néo-alliances - qu’elles soient responsables ou créatives, symboliques ou argumentaires - démontrent par ailleurs du virage entrepris par les petites marques et grands groupes de mode désireux d’ouvrir le dialogue pour trouver des solutions globales et pérennes et pour renouveler continuellement le cycle de la mode. L’ouverture donc plutôt que la déroute, la transparence plutôt que la débâcle. En cette rentrée 2020, la mode en tout cas promeut le “soft power”. La mode, espérons, est à la “slow revolution”.