Talk d'ouverture : Comment faut-il repenser la Mode ?
Albert Camus et Jean Paul Sartre en ont fait les thèmes centraux de leurs oeuvres, Greta Thunberg en est l’incarnation moderne, Léonardo Di Caprio, le sex-symbol et Vivienne Westwood, le pendant créatif. En tout temps, l’individu s’engage, la société se mobilise. Depuis quelques années, le terme “engagement” revient à la mode, et la mode à son tour s’en empare. L’engagement revêt bien des costumes. Il est cet acte par lequel on tient une promesse et par lequel on se lie. Ce “coup d’envoi”, synonyme d’une entrée en matière. Ce combat que l’on décide de mener à un instant T. L’engagement peut être personnel ou collectif, facteur de réconciliation ou de rupture, de fédération ou de dispute. Mais toujours, il est ce point de départ, cette avancée, parfois pour le pire, souvent pour le meilleur. Une volonté de faire “mieux” et de se donner les moyens d’y parvenir. L’engagement, pour les existentialistes, est cet acte par lequel l’individu assume les valeurs qu’il a choisies et donne un sens à son existence. S’engager pour donner du sens, ce credo pourrait bien être le nouvel apanage de la mode. Les mutations profondes de son industrie et l’éveil des consciences face au déclin de la planète sont autant d’enjeux qui la pousse à repenser entièrement son système et sa chaîne de valeurs. C’est autour de ce nouvel impératif d’engagement que sont venus débattre Frédéric Maus, directeur général de WSN, Axelle Tessandier, auteure, Pierre-François Le Louët, président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin et Olivier Guyot, rédacteur en chef de Fashion Network lors de ce premier talk “Impact” de cette rentrée 2020.
Il souffle comme un air de printemps lors de cette matinée de janvier, alors que les premiers arrivants découvrent le “Mirror Palace” du Who’s Next sous le ciel bleu de Paris. La température contraste avec le climat économique et social complexe dans lequel se trouve la France. Pourtant, à Porte de Versailles, les sourires habillent les visages, et on se presse par groupe pour entrer dans le hall 6 où un espace de talks a été conçu comme une agora ouverte sur la mode et son avenir. Sur la scène, tout d’orange et de beige vêtue, surplombée par quelques ornements floraux, les orateurs s’installent tandis que le public prend place sur les sièges immaculés. Le premier talk d’Impact de cette édition peut débuter.
“Impact est né d'un désir de porter le message de marques engagées et de les rassembler afin de les soutenir et de les faire connaître au plus grand nombre”, commence Frédéric Maus. Il a été conçu comme un espace ouvert de dialogue et d’échange pour la profession, mais également pour le grand public, afin de donner une voix à ces nouveaux engagés et indignés pour qui l’action dépasse désormais l’ambition. Qu’elles soient patrimoniales ou “digital native”, débutantes ou confirmées, Impact souhaite soutenir toutes les marques pour qui avenir rime avec responsabilité. En ouvrant la voie à une autre mode, Impact souhaite démontrer que l’engagement de l’industrie est conciliable avec son business et sa croissance. “L’éco-responsabilité est devenue une véritable valeur ajoutée pour les marques”, poursuit Axelle Tessandier. L’engagement est désormais attractif, le responsable est désirable.
Aujourd’hui, “53% des français sont prêts à acheter des produits de marques engagées sur des questions de société”, explique Olivier Guyot, rédacteur en chef de Fashion Network. Si la plupart des marques de mode éco-responsable tâtonnent encore pour trouver un modèle économique viable et pérenne, certaines surfent déjà sur des assises solides et sont parvenues à fédérer une véritable clientèle autour de leur vision et de leur valeurs. Afin de les accompagner au mieux, différents organismes, associations et initiatives - parmi lesquels Impact - apportent visibilité, conseils et soutiens à ces pionniers de l’éco-rentabilité. C’est le cas de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin qui, depuis 4 ans, accompagne les chefs d’entreprise face à la question écologique pour participer à la transformation profonde de l’industrie. “Nous avons créé un guide pour responsabiliser les marques de mode françaises dans leur chaîne d’approvisionnement qui a été téléchargé 537 fois”, explique son président Pierre-François Le Louët. Une transition “slow” donc, promue par des experts de la mode. Frédéric Maus précise d’ailleurs : “On n’a pas besoin de tout réinventer entièrement, on peut adapter les marques aux problématiques de l’engagement et y trouver de nombreux bénéfices.”
L’engagement des marques comme cheval de Troie, pourrait être un pari lucratif selon de nombreux professionnels, pour s’imposer dans un paysage sur-saturé. La mode en 2020, doit s’engager. Elle ne peut plus rester neutre. “Depuis quelques années, la mode redécouvre sa dimension politique et sociétale”, explique Pierre-François Le Louët. Le vêtement colle à la peau, à l’individu. Il possède une véritable fonction symbolique et peut refléter les valeurs et idéaux d’une personne mais aussi d’une communauté et d’une époque. “La mode est aussi une question de vivre ensemble et d’inclusion”, explique Axelle Tessandier. Elle peut-être un acte de revendication fort : un acte social et politique. Si le vêtement possède une dimension symbolique extérieure forte, il est également source d’intériorité et d’introspection. Je mets ce vêtement car je suis, je porte cette veste car je pense, je choisis ce chapeau car je crois… Nos vêtements reflètent donc une manière de penser et de concevoir la vie. Plus encore, la manière dont nous les fabriquons reflètent un idéal d’existence. De part et d’autre d’un vêtement, de la création jusqu’à l’acte d’achat, notre manière de produire et de consommer reflètent ainsi quelque part nos valeurs et celles dont nous souhaitons faire la promotion. Cela témoigne d’une véritable prise de position. Un engagement durable.
Créer et porter un vêtement qui ait du sens, c’est donc le défi de la mode éco-responsable. “Une marque n’est pas un concept, ce sont des personnes, des équipes”, rappelle Axelle Tessandier. La mode doit être source de respect et d’inclusion. Elle doit faire preuve de mesure sans pour autant briser l’hybris qui fait son essence même : la création. “La vraie question qui se pose aujourd’hui, c’est où que vous soyez, comment avez vous envie de vous engager ?”, poursuit Axelle Tessandier. Après, le pourquoi, voici donc le : comment. Comment mesurer son engagement ? Mais aussi comment rendre son modèle viable ? Comment assurer croissance et responsabilité ? Comment concilier esthétique et durabilité ? Autant de questionnements que les pionniers de la mode éthique ont pris à bras le corps pour tenter d’y apporter des solutions rapides. Autant de problématiques qu’Impact cherche à résoudre grâce au dialogue et à l’action commune. “Finalement, la mode a tendance à tout faire en plus exagéré, en plus engagé, parfois au risque de l’hystérie, mais je pense que cela peut-être un véritable avantage dans cette transition écologique”, conclut Frédéric Maus. Par un jeu d’ironie, la mode, éternelle frondeuse, pourrait bel et bien renouer à terme avec ce que Camus appelait : la juste mesure.