08 Jan. 2020

Mode en transition

Tendances

Comment repenser l'industrie de la mode ?


Garantir les normes environnementales, le respect des droits de l’homme et la transparence, c’est le défi que s’est lancé la mode cette année lors du sommet du G7. Une transition écologique et sociale qui vient ébranler l’industrie marquée par cinquante ans de folie consumériste sous le joug des multinationales du luxe et de la fast-fashion. La pollution, le gaspillage à outrance ou l’usage immodéré de produits chimiques ont finalement eu raison du consommateur qui commence à prendre conscience du “true cost” d’une mode surproductive. Au règne du client roi et de l’obsolescence programmée des goûts et des désirs semble se soustraire une prise de conscience généralisée : celle du citoyen désireux de changer son rapport au monde. Face à ce changement de mentalité, aussi “slow” soit-il, c’est toute une industrie qui doit être repensée. Alors la mode est morte, vive la mode ? Caroline Rey, co-fondatrice de 17h10, Edith Caban de la marque Mirae, Christèle Merter de La Gentle Factory, Jérôme Malavoy de Transparency One, Camille Legal et Laure Betsch de Fairly Made et Sandrine Pannetier du bureau de tendance Leherpeur Paris sont venus discuter de la mode en transition autour de Maëva Bessis, directrice de La Caserne.

Le 26 août dernier, 32 entreprises de la mode et du luxe, représentant plus de 150 marques, se réunissaient autour de François Henri Pinault, le PDG de Kering, pour signer le “Fashion Pact” sous l’égide du président Emmanuel Macron. Le texte ratifié par les géants de la mode - Burberry, Chanel, Hermès, Armani, Prada, Adidas, Nike, H&M, Gap ou Inditex pour n’en citer que quelques uns - vise à regrouper les initiatives de l’industrie afin de limiter son impact environnemental face à l’urgence climatique. Des mots, toujours des mots, diront certains… Aujourd’hui, ils sont encore nombreux à rester perplexes face à ces engagements “de façade” jugés trop peu contraignants. Pourtant ce pacte, signé en marge du G7, témoigne d’un véritable point de bascule dans la mode. En rassemblant les plus grands acteurs du secteur, il a vocation à normaliser la notion d’éthique dans cette industrie jugée comme étant l’une des plus polluantes du monde. Alors, une transition douce pour une slow fashion ? L’avenir nous le dira.

Face à ce nouveau paradigme, une myriade d’acteurs s’engage pour une mode plus responsable et à visage humain. Parmi ces chefs de files, on compte Maeva Bessis, directrice de “La Caserne”, un incubateur nouvelle génération visant à accompagner les marques vers la transition écologique et qui ouvrira ses portes d’ici fin 2020 dans le 10e arrondissement de Paris. On doit cette utopie urbaine, implantée dans une ancienne caserne de pompier, à l’équipe du concept-store L’Exception et au fond d’investissement Impala qui souhaitent faire de La Caserne le centre névralgique de la mode éco-responsable à Paris. En réunissant les acteurs clefs de la mode éthique ainsi que différents acteurs de l’innovation, Maeva Bessis et son équipe souhaitent montrer qu’une autre mode est possible. Une mode durable et responsable qui se pense et s’élabore du sourcing des matières premières jusqu’aux conditions de fabrication, de la traçabilité des pièces jusqu’à leur durée de vie dans un placard. Une réflexion, en amont et en aval, qui suit toutes les étapes de production d’un produit et qui se recentre finalement sur ce qui fait la mode par essence : l’homme et le vêtement.

“Made in”, deux mots qui mettent en lumière une contradiction géographique et un conflit générationnel : la lutte du commerce local face à l’hyper-mondialisation. Deux mots qui racontent cinquante ans d’Histoire, de croissance et de course à la rentabilité : la tyrannie du moins cher et la course au savoir faire. Bref, la valorisation de la quantité plutôt que l’objectif de qualité. Une course contre le temps et les éléments et une logique de marché qui préfère fabriquer en Chine pour vendre en Europe et dont il faut désormais payer le prix. Le sourcing et la traçabilité sont donc au coeur de la dynamique éco-responsable comme l’ont compris Camille et Laure, les fondatrices de Fairly Made, une entreprise de sourcing et confection engagée visant à répertorier les producteurs de matières premières du monde entier. Un véritable Itunes du tissu pour quiconque veut créer un vêtement en toute conscience de son environnement. En effet comment savoir d’où vient tel tissu ou tel produit dans un monde où la distance n’est plus qu’une affaire de temps ? C’est le défi de la plateforme Transparency One et de son fondateur Jérôme Malavoy qui tend à remonter la chaîne de production pour surveiller les fournisseurs, composants et sites, de la source au magasin. Se présentant comme un réseau social et proposant une gestion des risques 2.0, le site accroît la sécurité des produits et permet aux marques et entreprises de contrôler leur propre production. La traçabilité et le sourcing constituent donc des étape clefs de la confection d’un vêtement éco-responsable mais c’est aussi une quête difficile, notamment pour les jeunes marques, et les initiatives comme Fairly made ou Transparency One permettent un véritable pas en avant dans cette néo-croisade de la mode.

Malgré le défi que cela représente, les jeunes marques sont les premières à relever le défi de l’éco-responsabilité en choisissant un modèle plus vertueux. “La rupture créative naît des jeunes marques car elles sont plus enclines à l’engagement et à la responsabilité, souligne Sandrine Pannetier à la tête du bureau de tendances Leherpeur Paris. Nous assistons à un véritable moment de rupture : la boulimie de la mode entraînée par des années de démocratisation et de fast-fashion a provoqué une remise en question généralisée de la part du consommateur mais également de l’industrie.” La marque digitale Mirae en est un exemple. Fondée en 2018 par Tara Jarmon, fondatrice de la marque éponyme, sa fille Camille Jarmon et Edith Cabane, la styliste du trio, la jeune marque est véritablement dans l’air du temps. Responsable, elle promeut une petite production - entre 30 et 80 pièces - majoritairement européenne et dans des matières naturelles ou issues de seconde main. Digitale, elle joue des codes d’instagram et propose un véritable “way of life” et une nouvelle façon de consommer la mode. La même année, Caroline Rey et Amélie Delacour fondent la marque 17h10 et souhaitent elles aussi répondre à ces nouveaux impératifs de sourcing, de traçabilité et de durabilité. Soutenues par la Station F et l’Association Jean-Luc François, les deux jeunes femmes spécialistes en communication ont choisi de décliner un intemporel : le tailleur féminin. En proposant 3 modèles de vestes, 3 modèles de pantalons et 1 jupe dans 4 couleurs de laine, 17h10 propose 48 tailleurs à composer selon le style et les envies de chacune. La coupe, la matière et même le coloris, tout est ainsi pensé et appréhendé pour créer le costume parfait. Mirae et 17h10, deux concepts qui séduisent les modeuses à la recherche de pièces de qualité et pouvant être portées dans le temps sans risque d’être dépassées. “La transmission et l’échange sont au coeur des valeurs de la mode éco-responsable, explique Christèle Merter, la fondatrice de La Gentle Factory. Nous voulons créer des intemporels et nous construisons notre offre sur l’idée d’une mode durable. Nous sommes dans une dynamique de questionnements et d’apprentissage permanent, conclut la jeune entrepreneuse diplômée en ingénierie textile. Nous souhaitons maîtriser toutes les étapes de fabrication de nos vêtement, c’est un défi de tous les jours.”

“La mode éco-responsable n’est pas seulement une tendance, c’est aussi une nécessité, conclut Sandrine Pannetier. Ces dernières années, la mode a été très critiqué : l’image des femmes, le modèle de production, le gaspillage à outrance… De nombreux mouvements contestataires sont nés afin de dénoncer un système jugé parfois pervers. Aujourd’hui, nous nous dirigeons vers une mode vertueuse, une mode prête à se mettre en pénurie pour respecter ses valeurs. On veut produire peu mais bien et surtout rester longtemps.” Une mode prête à en découdre donc et qui souhaite marquer son temps. Une mode qui n’est plus à la mode, finalement cela pourrait bien être le pari de la mode de demain.