Talk Impact : "L’heure est au rappel à l’ordre, à la prise de conscience et à l’action commune"
Écoresponsable. Si un mot peut-être à la mode, l’adjectif “écoresponsable” serait certainement un “it-word” : “the word to say”. “The credo to be”. Ce terme, à première vue peu enclin au divertissement et à l’exubérance, a en effet su conquérir les médias et les foules. Selon le dictionnaire Larousse, il garantit la protection de l’environnement. Aujourd’hui, il invoque également, de manière plus large, le respect des hommes et des droits sociaux. Comment la mode alors, parangon du beau, du voyant et du grand, s’est-elle amourachée de ce terme à la résonance presque pascalienne ? Comment cette industrie de masse, dominée par une logique capitaliste crie-t-elle désormais à l’art de la mesure ? Une seule réponse : la réalité. Ces dernières décennies ont été marquées par un retour au réel plus que brutal, annonçant l’ère des désillusions. Le réchauffement climatique, un modèle économique à bout de souffle et des crises sociales globalisées sont les signes de la faillite d’un système mondialisé motivée par la production à outrance et le credo “money, money, money”. L’heure est au rappel à l’ordre, à la prise de conscience et à l’action commune. En 2020, que l’on le veuille ou non, la réalité désormais tend donc à être “écoresponsable”. C’est autour de ce nouvel enjeu auquel se confronte l’industrie de la mode que sont venus discuter Nathalie Lebas Vautier, de Good Fabric, Laure Betsch de l’entreprise Fairly Made et Philippe Corbin, fondateur de Leon & Harper autour de la journaliste Céline Vautard.
Depuis quelques années, la mode fait le voeu de devenir plus raisonnable, plus éthique : plus responsable. Face à une économie en faillite, une exposition médiatique croissante et aux nouvelles tendances de consommation, elle est dans l’obligation de se renouveler. Le principe d’éco-responsabilité devient en effet central pour l’industrie de la mode et du textile notamment. Haute couture, couture, prêt-à-porter, streetwear : tous s’en emparent. La mode écoresponsable ne cesse de croître et de séduire un public de plus en plus enclin à mieux consommer. Le fameux credo de nos grands-mères, “moins mais mieux”, semble enfin gagner le jeu. Mémo : toujours écouter ses aïeux.
Une collection écoresponsable repose donc sur trois piliers : l'environnement, le social et l'éthique, rappelle Laure Betsch, fondatrice de Fairly Made, une entreprise de sourcing et de confection qui promeut une fabrication équitable. Le développement durable, l’agriculture raisonnée, la responsabilité sociale sont autant de facteurs nécessaires pour pouvoir appréhender ce modèle qui n’est pas sans difficulté. "Il y a une grande phase de réflexion - communication, marketing, e-commerce… - afin de trouver l'histoire que l'on veut raconter et de cerner sa cible”, poursuit Laure Betsch. La confection d’une collection ou d’une marque écoresponsable requiert donc du temps. Elle nécessite une première phase d’idéation - penser sa marque, son contenu, son manifeste - puis sa création, sa réalisation et sa production jusqu’au support pour vendre. "La partie sourcing est fondamentale dans ces différentes étapes. Il faut opter pour des matières à impact réduit sur l'environnement et trouver les bonnes filières." conclut la fondatrice de Fairly Made.
Mais cet engagement va encore plus loin pour certaines marques qui défendent un modèle radical et novateur. La marque californienne Patagonia, chef de file du mouvement “sustainable”, est référente dans l’idée d’une mode responsable et lucrative. Son objectif est clair : sauver la planète. Dès lors, elle utilise ses vêtements et sa communication comme un manifeste de défense de l’environnement et n’hésite pas à auto-censurer ses propres produits en posant cette simple question : en avez vous besoin ? Une communication radicale, mais réellement efficace, puisque la pièce la plus vendue de la marque est aussi celle qu’elle a le plus auto-censurée. La mode écoresponsable, c’est aussi l’histoire du serpent qui se mord la queue.
“L'éco-responsabilité, c'est éliminer tout ce qui n’est pas indispensable", semble confirmer Nathalie Lebas-Vauthier, fondatrice de Good Fabric, un atelier d'eco-design qui collabore avec des marques, enseignes et entreprises pour créer, développer et fabriquer des collections ou des produits textiles durables. Une idée soutenue par Philippe Corbin, fondateur de la marque Leon & Harper : "Globalement, il faut tout faire en moins : moins produire, moins consommer. Le changement viendra donc des marques mais aussi des consommateurs qui doivent modifier leurs comportements d’achat pour réellement faire changer l’industrie. La dé-consommation constatée ces dernières années semble ainsi aller dans le sens de la mode écoresponsable : en 2018, 44 % des consommateurs ont acheté moins de vêtements et pour 40 % d’entre eux, il s’agissait d’une dé-consommation choisie, selon une étude de l’IFM. Ce phénomène révèle une véritable prise de conscience du consommateur, de mieux en mieux informé de la réalité des actions d’une industrie autrefois opaque, mais également d’une méfiance grandissante à l’égard des entreprises de mode. La transparence devient un outil nécessaire pour ouvrir le dialogue entre une marque et sa clientèle. L’information et la sensibilisation sont des piliers pour une marque souhaitant se lancer dans l’éco-responsabilité.
"L'éco-responsabilité est devenue à la mode. Cela devrait être le contraire : la mode devrait être éco-responsable", conclut Philippe Corbin d’un ton décidé. Si la mode écoresponsable est aujourd’hui plus qu’une tendance, il faut désormais confirmer l’élan entrepris ces dernières années par l’industrie. Marques et grands groupes doivent être prêts à investir dans ce modèle. La mode du présent se conjugue donc au futur. Elle se voit durable, pérenne, voire intemporelle, quitte à défier les lois de la fast-fashion. Répondant au besoin de chacun et à la demande de tous, elle souhaite minimiser le gaspillage des ressources et promouvoir un cycle long et même plus encore, une seconde vie aux vêtements. En s’adaptant aux nouvelles exigences du changement climatique et en veillant au bien-être des générations futures, la mode ne se vit donc plus seulement dans le culte du plaisir et de l’instant présent. En 2020, la mode se raisonne.