30 Dec. 2019

LE LABEL NE FAIT PAS LE VÊTEMENT

Tendances

Retour au made in local et au savoir-faire


Après la tendance du “made in France”, beaucoup utilisée ces dernières années au risque d’un certain “french washing”, on observe aujourd’hui un véritable retour au local et au savoir-faire. Aujourd’hui, nombreuses sont les marques françaises à promouvoir un retour à une industrie séculaire notamment face à son risque d’extinction. Une philosophie de la proximité qui souhaite faire perdurer des métiers d’excellence tout du long de la chaîne de conception et de production d’un vêtement. La création se responsabilise et tend de plus en plus à contrôler toute la fabrication de ses collections en s’assurant de leur viabilité écologique et du respect des conditions de travail de ses employés. Après des années de fast-fashion et de productivité effrénée, la mode se tourne désormais vers une production à échelle humaine afin de retrouver ce qui fait la valeur d’un vêtement et d’une création : le sens. C’est autour de cette nouvelle quête de sens à travers la recherche du local et du savoir-faire que sont venus discuter Guillaume Gibault du Slip Français, Clarisse Reille de l’organisme DEFI, Thomas Huriez, fondateur des jeans 1083 et Marion Lacaux de la marque Splice Paris autour de la modératrice Marion Clément de Green Door Stories.

Après des années de communication à outrance, le “made in France” semble aujourd’hui souffrir d’une certaine érosion de confiance auprès du consommateur. Comme l’usage du label “bio”, son emploi abusif semble avoir provoqué une crise de légitimité auprès d’un client de plus en plus en quête de transparence et d’authenticité. D’un point de vue légal, pour qu’un produit soit étiqueté “made in France”, il faut que 45% de sa valeur ajoutée ait été produite sur le sol national. Un vêtement peut donc bénéficier de cet étiquetage s’il est bien sur entièrement confectionné en France ou si une partie substantielle de sa confection y a été réalisée. A cela s’ajoute un imbroglio d’autres mentions telles que “conditionné en France”, “designed in France”, “conception française”, “création française”, “artisanat local” qui vient également perturber la lisibilité du consommateur.

Le “made in France” pour être crédible se doit donc d’être quasi 100% transparent, comme l’a compris Marion Lacaux, fondatrice de la marque Splice Paris dont on peut lire sur le site en guise de présentation : “Vestiaire adulte éco-conçu en lin 100% français dont 96% du prix de vente irrigue l'économie française”. La créatrice, qui maîtrise toute sa chaîne de fabrication, l’a compris : le responsable est désormais désirable. C’est un facteur d’attractivité. L’acte de transparence, un choix radical suivi également par deux marques précurseures : les jeans 1083 de Thomas Huriez et Le Slip Français de Guillaume Gibault. “La transparence est la clef de la durabilité”, explique Thomas Huriez. Les deux fondateurs incarnent deux exemples de success story à la française qui ont compris très tôt les bienfaits et avantages d’une production 100% nationale à un détail près : l’usage de matières premières étrangères. “Les jeans 1083 utilisent du coton bio qui ne pousse pas en France mais toutes les étapes de fabrication des produits telles que la filature, la teinture, le tissage ou la confection sont réalisés en France”, explique le créateur. Tout comme le Slip Français qui source le coton à l’étranger. “Une fois le fil récupéré, tout est fait en France”, assure dans un sourire le créateur de la marque aux couleurs tricolores : bleu, blanc, rouge.

Face à une communication parfois biaisée autour du “made in France”, de nombreuses marques font prévaloir un discours de proximité auprès de leurs clients en revenant à un champ lexical plus concret : le retour à l’artisanat et au savoir-faire local. Une tendance dans l’air du temps qui conforte les français dans leurs choix d’une consommation plus responsable. “Après des années de fast-fashion, nous sommes passés d’un sentiment de culpabilité à un ras-de-bol général,” explique Sandrine Pannetier du bureau de tendance parisien Leherpeur. Chaque année, on passe un cap vers une transition responsable bien que le prix soit encore un obstacle pour le moment. Les consommateurs sont en quête de vérité, d’histoire et de sincérité. Ils ont besoin de sens et ressentent le besoin d’appartenir à une communauté qui leur ressemble.” Deux facteurs auquel le local répond sans contrefaçon.

Le sens, la nouvelle pierre angulaire de la mode. Après l’expérience ou le voyage, aujourd’hui lorsque l’on achète un vêtement, on est à l’écoute de l’histoire qu’il raconte. Où a-t-il été fabriqué ? Par qui ? Comment ? Avec quelle techniques ? C’est tout un storytelling qui se crée. Tout un fil que l’on déroule pour comprendre ce qui se cache derrière un produit. “On observe un véritable tropisme du public, particulièrement des jeunes, vers des marques responsables et innovantes comme Le Slip Français,” explique Clarisse Reille à la tête du mouvement DEFI. Car responsabilité rime aussi avec modernité, contrairement à une vision faussée que l’on accorde souvent à la mode éthique.” “La responsabilité passe aussi et surtout par l’innovation, poursuit Guillaume Gibault. Le progrès est au coeur de notre discours de marque. Si nous utilisons des savoirs-faire ancestraux pour créer nos produits, nous pensons que la vraie solution, c’est d’innover et de fabriquer des machines afin d’accroître la viabilité de notre industrie tout en promouvant l’attractivité du made in France.” Alors, la mode responsable : d’une pierre, deux coups ? Leurs représentants et chefs de files rivalisent en tout cas d’audace et d’imagination pour faire de ce nouveau business model, le futur de la mode française.

Si la mode éthique fut un temps considéré comme avant-garde, elle est aujourd’hui partie intégrante de l’industrie de la mode. L’ascension fulgurante du marché de la seconde main, la mode de l’upcycling ou le succès de marques éco-responsables comme Le Slip Français et 1083 démontrent sans aucun doute de la vivacité de ce modèle. Un modèle encore toutefois en phase d’expérimentation, qui se cherche et se paye, parfois aux frais de cette nouvelle écologie créative. “On défriche encore, poursuit Clarisse Reille. On cherche des solutions pérennes, on teste les matières utilisées, on vérifie la viabilité des procédés.” La mode éco-responsable reste un véritable parcours du combattant et quiconque s’engage dans cette voie doit faire preuve de persévérance comme en témoigne le succès de Marion Lacaux, Thomas Huriez et Guillaume Gibault. “Il y a des erreurs de production, on apprend sur le terrain. Un système n’est jamais parfait mais l’acte de transparence permet d’instaurer un véritable dialogue de confiance avec nos clients qui deviennent familier de la réalité du métier et des contraintes de production que nous pouvons rencontrer. L’échec permet aussi le progrès”, conclut Thomas Huriez.

Dans un domaine où la perfection fait loi et où l’erreur n’est plus humaine, la mode éco-responsable semble ouvrir une nouvelle voie. L’idée d’une mode esthétique, humble, innovante mais aussi imparfaite. A travers ce nouveau mode de consommation, c’est aussi et avant tout une nouvelle esthétique et philosophie que l’on propose. Une mode au reflet du monde, au reflet du réel : belle au naturel.