Talk Impact autour de cette nouvelle économie circulaire
La mode est aujourd’hui considérée comme l’une des industries les plus polluantes au monde. Son impact sur l’environnement est d’autant plus inquiétante que le rythme effréné des collections produit une surproduction massive et du gaspillage à outrance appliquant à la lettre le modèle “take, make, dispose”. Face à ce schéma linéaire, dont la viabilité est désormais caduque, une nouvelle écologie créative voit le jour, portée par de nouvelles valeurs et une autre manière d’appréhender le monde. Cette fois, la ligne se courbe, la qualité se fabrique, la longévité se désire : le produit vit. L’économie désormais circule, elle plie mais ne rompt pas. C’est donc autour de cette nouvelle économie circulaire que sont venus discuter Adèle Rinck d’Eco TLC, Amandine Grimbert d’Emmaüs France, Monia Sbouai de Super Marché, Anne Quemin du Bon Coin et Stéphanie Talevis de Circul'R autour de la journaliste mode Céline Vautard.
Cette année, Emmaüs fête ses soixante-dix ans et célèbre sa position de leader en tant que premier collecteur de France. Soixante-dix ans d’histoire pour redonner une seconde vie aux objets et vêtements que les français portent au quotidien. Soixante-dix ans d’efforts pour qu’un produit ne tombe pas directement dans nos poubelles sans avoir eu une seconde chance. “L’économie circulaire fait parti de l’ADN d’Emmaüs depuis ses débuts lorsque les chiffonniers récupéraient les déchets pour les revendre. Cette activité de bric-à-brac est finalement devenu un acteur majeur du réemploi. Car Emmaüs reste aussi et avant tout un acteur social”, explique Amandine Grimbert, responsable de mission espace de vente. En soixante-dix ans, c’est toute une société qui s’est ainsi vue bousculée, toute une économie qui s’est emballée. Extraire, Produire, Consommer, Jeter… Et recommencer. On pensait pouvoir répéter cette formule à l’infini, mais c’est en bel bien fini de cette utopie. Du temps en est donc passé depuis la collecte des chiffonniers d’Emmaüs, et aujourd’hui le seconde main n’a jamais été aussi mainstream. Mieux encore, elle n’a jamais été aussi cool.
De nouvelles marques suivent les pas d’Emmaüs et proposent une vision fraîche et neuve de la mode circulaire. C’est le cas de la marque Super Marché dont le nom salue ironiquement les rayons emplis de la fast-fashion. Fondée il y a trois ans par Monia Sbouai, la marque a pu bénéficier d’un certain vent en sa faveur lors de sa création. L’époque en effet favorise le vécu et le brut. Les paillettes et le faste du premier millénaire ont laissé place à la découpe, à la récup et à la débrouille comme en atteste également le succès du vintage ou l’ascension de marques d’upcycling comme Marine Serre, Andrea Crews, Paloma Wool ou encore Affekt. “La transformation et la transmission du vêtement sont au coeur des problématiques contemporaines bien qu’il reste encore un gros travail d’éducation à faire”, explique la créatrice de Super Marché. La seconde main n’est plus honteuse, au contraire, c’est une nouvelle façon de consommer. Et c’est valable pour toute les classes sociales confondues”, s’exclame Monia Sbouai. Désormais, on est fier d’arborer un article trouvé à prix mini et de belle qualité.
Depuis quelques années, le marché de seconde main explose, attirant un public très éclectique où toutes les tranches d’âge sont concernées. Un essor rendu indubitablement possible grâce à un seul médium : internet. Ainsi en 2019, 4 Français sur 10 achètent de la mode seconde main et selon l'IFM, 39 % des Français auraient déjà acheté au moins un vêtement ou accessoire d'occasion. Nous sommes entrés dans une “économie de la fonctionnalité” explique Adèle Rinck, de l’organisme Eco TLC qui propose un cahier des charges adapté aux besoins de la filière mode afin d’assurer sa transition vers une économie circulaire. La société à but non lucratif, missionnée par le ministère de l’économie et de la transition solidaire, a avant tout un rôle informatif et souhaite sensibiliser l’industrie face à ces nouveaux enjeux de taille. Son rôle vise à promouvoir un nouveau modèle économique viable et en phase avec une démarche éco-responsable. Le projet de loi sur la destruction des invendus, encore en cours d’élaboration, reste ainsi l’un des principaux enjeux d’Eco TLC. Selon les chiffres officiels de l’éco-organisme, chaque année, 624 000 tonnes de vêtements et de chaussures sont mis sur le marché français. Face à cette surconsommation désormais évidente, le marché de la seconde main jouit donc d’un vent plus que favorable.
Avec 28 millions d’annonces postées l’année dernière, Le Bon Coin reste la référence inégalée en terme de business model. La plateforme a d’ailleurs décidé d’accompagner les marques dans cette transition écologique en ouvrant une catégorie mode aux professionnels et non plus seulement aux particuliers. Désormais retours, invendus ou vêtements quasi-neufs pourront trouver une seconde vie sur le site. “En proposant ce nouveau partenariat, Le Bon Coin souhaite s’impliquer durablement comme un acteur à part entière de l’économie circulaire, explique Anne Quemin, directrice de la communication. Mais la responsabilité est vraiment du côté du consommateur, c’est lui qui fera bouger les lignes.”
Un client conscient et désireux de changer ses modes et consommation face à des marques prêtes à trouver des solutions pérennes : cette néo éco-collaboration pourrait bel et bien être la solution pour parvenir à une transition circulaire. “Mais nous sommes encore dans une phase très déclarative pour le moment, on parle beaucoup mais il faut agir. ll faudrait constituer une fashion police pour veiller à l’application de ces déclarations, conclut Monia Sbouai dans un sourire. Si la mode de seconde main en est encore à une phase d’expérimentation et de séduction XXL, l’engouement qu’elle provoque de part et d’autre du marché prouve qu’elle n’est plus seulement une tendance ou une nécessité : c’est un désir. Et qu’est-ce que la mode si ce n’est l’équation perpétuelle des goûts et des désirs ?