03 Dec. 2019

“You only need 10%”

Tendances

Retour sur le Talk d'ouverture de la première édition d'IMPACT


Depuis vingt-cinq ans, Who’s Next anticipe et décrypte les grands mouvements de la mode. Au coeur de son écosystème, il insuffle la tendance, murmure la nouvelle vogue, crée les nouvelles vagues. Cette édition de rentrée 2019 restera gravée pour Who’s Next comme un tournant avec le lancement d’Impact, le nouveau rendez-vous de la mode éco-responsable à Paris. Quatre jours d’échanges, de rencontres et de collaborations pour dessiner les contours d’une industrie nouvelle. Quatre jours de conférences durant lesquelles plus de cents personnalités de la mode engagée, issues du monde entier, sont venues partager leurs idéaux et leur quête de sens.

Ce vendredi 6 septembre, c’est l’été indien Porte de Versailles. Les premiers arrivants passent les portes du Parc des Expositions, tout de rose, de vert, et de bleu vêtues, pour se rendre à Impact. A 10h30, on s’empresse déjà dans la salle de talk, imaginée pour l’évènement et qui ne désemplira pas durant les prochains jours. On s’installe confortablement dans les canapés et fauteuils en osier, pendant que les retardataires restent debout. Le talk d’ouverture a de quoi attirer initiés et amateurs de mode avec un panel d’invités de référence : Elisabeth Laville d’Utopies, Isabelle Lefort à la tête de Paris Good Fashion, Pierre François Le Louët de la Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin, Olivier Bron du Groupe Galeries Lafayette et Frédéric Maus, à la tête de WSN Développement, autour de la modératrice Karine Vergniol, journaliste à BFM Business. Dès les premières minutes, Frédéric Maus retrace la genèse d’Impact : un évènement dans l’évènement et un format hybride ouvert pour la première fois au grand public. Un pari sur l’avenir dans une industrie en pleine mutation où se multiplient les initiatives sociales et positives. Si Frédéric Maus salue la fougue et la vigueur de ces “petits qui électrisent les grands”, il remercie également de leur soutien et de leur présence les invités qui l’entourent. La Fédération Française du Prêt-à-Porter féminin, Les Galeries Lafayette, Paris Good Fashion et Utopies : deux mastodontes de la mode et deux mouvements militants incontournables qui témoignent d’une même prise de conscience, d’une même volonté de transformer la mode de demain. Un engagement qui s’inscrit dans un mouvement global : de luttes sociales et environnementales, du G7 et de son Fashion Pact. Bref, un monde en éveil et une mode en prise avec son temps.

La planète mode est en surchauffe. La nôtre également. Le paysage de la mode s’est profondément vu transformé ces dernières années, notamment avec la transition digitale. Aujourd’hui, une seconde transition est en route : “on assiste à un véritable phénomène d’amplification et d’accélération de la mode éco-responsable depuis que les grands du secteur se sont emparés de cette problématique”, souligne Isabelle Lefort de Paris Good Fashion. De Kering à LVMH, de la Fédération Française du Prêt à Porter à H&M, aujourd’hui toute l’industrie est concernée et cherche des solutions positives. La mode “écolo”, autrefois reléguée au dernier rang des podiums, affublée de “moche, ringarde, désuète”, est aujourd’hui érigée en valeur suprême du bon goût et de la bienpensance. Comment faut-il alors analyser cette effervescence envers une mode plus responsable ? Sommes-nous une fois de plus face à une tentative massive de “green-washing” ou assiste-t-on à une véritable prise de conscience généralisée ?

Pour tous les intervenants réunis ce-jour là, il s’agit d’une réalité concrète. D’une part, on assiste à un réel changement de comportement des consommateurs. Le client roi a repris son rôle de citoyen. Après la folie publicitaire et consumériste du début du millénaire, une nouvelle génération d’acheteurs, biberonnée aux alertes médiatiques et aux réseaux sociaux, recherche une mode plus transparente, éthique et à visage humain. Face à la rumeur citoyenne, l’industrie évolue et se transforme. “On se doit aujourd’hui de s’ouvrir au monde sur la problématique de l’engagement”, soutient Olivier Bron des Galeries Lafayette. En signant le “Fashion Pact” et grâce à l’initiative de “Go For Good”, leur entité “green” et militante, le groupe se pose comme l’un des chefs de file du mouvement sustainable en France. Avec près de 500 marques et de 10 000 produits proposés, “Go For Good” et le mouvement “Changeons la mode” montrent qu’un autre modèle est possible. “Le distributeur agit désormais comme un curateur”, explique Elisabeth Laville d’Utopies. En référençant des marques et des produits engagés, il crée un véritable marché alternatif : celui du commerce équitable, de la seconde main, de l’upcycling… En valorisant ces marques et en mettant en lumière l’ensemble des acteurs et des actions à l’origine de ces initiatives positives, il ouvre une nouvelle dynamique.

Sommes-nous alors arrivés à la fin des grands discours, des non-dits et d’une mode qui dit tout bas ce que tout le monde pense tout haut ? Si l’heure semble bel et bien aux bonnes résolutions, la nouvelle ère promeut définitivement l’action. “Nous devons apporter des solutions concrètes aux marques et entreprises qui souhaitent s’engager”, déclare Pierre-François Le Louët, à la tête de la Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin. “On soutient Impact pour avoir un impact auprès des petits comme des grands. Aujourd’hui 80% des marques de la Fédération incluent une démarche plus durable - made in France, upcycling, recyclage... - et toutes ont une croissance exceptionnelle !” En 2019, la mode semble ainsi s’être lancée un nouveau credo : si je ne suis pas durable, je ne suis pas désirable.

Changer les mentalités. Changer les comportements. Changer le système. “Il faut changer la façon de voir et de faire”, conclut Frédéric Maus. La Fédération du Prêt-à-Porter, Utopies, Paris Good Fashion, “Go For Good”, “Changeons la mode”, puis maintenant Impact… Toutes ces initiatives visent à lancer un mouvement pérenne et continu. “Si on ne se donne pas les moyens de changer la mode et son système aujourd’hui, nous aurons disparu dans dix ans”, poursuit Olivier Bron. “Ce mouvement préventif est vital”, conclut-t-il dans un sourire. Il est aussi fédérateur et inclusif. Pour la première fois de son histoire peut-être, la mode semble s’être réunie autour d’une même préoccupation et d’une même vision : l’avenir. Petits et géants, indépendants et grands groupes, créateurs, fabricants, acheteurs, distributeurs et même consommateurs… C’est toute la chaîne de valeurs de la mode qui se rassemble aujourd’hui pour repenser son système. Partout, de nouveaux projets positifs se créent, des voix se rassemblent, des designers collaborent… On sort peu à peu d’un fast-system opaque, d’une culture d’entre soi et élitiste pour se diriger pas à pas vers une mode collaborative, solidaire et ouverte.

En cette rentrée 2019, nous assistons peut-être à un véritable tournant dans l’industrie. La mode serait-t-elle alors bientôt parvenue à son “tipping point” ? Si l’on en croit le concept inspiré du journaliste Malcom Gladwell, il faudrait que seulement 10% de la population adoptent un comportement pour parvenir à un changement global. Durant ces quatre jours d’Impact, en voyant ces allées pleines, ces échanges passionnés, ces visages attentifs et ces sourires rassurés, on se dit que l’on n’est peut-être pas si loin de ce point de bascule... À bon entendeur, salut.