22 Jan. 2020

LA MODE LÈVE LE VOILE

Tendances

L’ouverture, le dialogue et la transparence dans la mode, une tendance qui ne fait que s’amplifier ces dernières années


Hier, la mode était au secret, au non-dit, au mystère. Aujourd’hui, elle ose l’exposition et se dévoile. Depuis l’émergence des réseaux sociaux, le consommateur n’a jamais été aussi omnipotent. Fort de son emprise sur les marques, il a désormais un véritable droit de regard sur le produit qu’il achète : depuis son intention de création jusqu’à son arrivée dans nos placards. Qui fabrique donc nos vêtements et dans quelles conditions ? C’est le nouveau défi que semble s’être lancé les consommateurs pour mieux contrôler leurs achats. Ainsi, le client accompagne désormais les marques tout au long de leur processus de fabrication en amont et en aval. Après le client roi des années 90, le consommateur citoyen des années 2000 serait-t-il le nouvel inquisiteur des temps modernes ? Force est de constater que son pouvoir permet aujourd’hui de lever le voile sur les méthodes de fonctionnement parfois peu orthodoxe des marques. Le digital semble avoir marqué l’avènement du règne de la transparence ou de son simulacre. Petit état des lieux de cet état de droit avec Catherine Dauriac, de Fashion Revolution France, Cindy Durdan de la marque Ekyog, Yasmine Auquier, de Rive Droite Paris, Hélène Lucas de Panafrica, Marie Demaegt de CELC autour d’Éloise Moigno et Thomas Ebelé du collectif Slow We Are.

Hier, un tee-shirt n’était qu’un tee-shirt. En coton, généralement. Blanc souvent, bleu, vert, jaune ou rose, uni ou à motif, logotypé ou annoté. Bref, un tee-shirt. Repéré à partir de la fin du XIXe siècle dans l’uniforme des marins, puis porté par les soldats durant la Première Guerre Mondiale, il est ensuite adopté par les équipes de football américaines qui les impriment de leur logo universitaire mais c’est véritablement après la Seconde Guerre Mondiale qu’il devient populaire. Simple dessous, il ose et s’expose désormais au dessus. On le voit sur grand écran porté par des icônes de style comme Marlon Brando ou James Dean. Blanc, souvent, serré, surtout : il devient l’uniforme de toute une génération. Plus encore, il devient un symbole : l’emblème de la mondialisation. Aujourd’hui, si le tee-shirt fait toujours figure de classique, il n’est plus seulement un vêtement : c’est une réalité. Un tee-shirt en coton représente en effet un véritable parcours du combattant. Des champs de coton jusque dans vos enseignes, c’est une performance technologique et une machine de productivité dont la chaîne de fabrication complexe et onéreuse a un réel impact social et environnemental. Si le tee-shirt est donc un symbole aujourd’hui, il est celui d’une industrie. Une industrie en pleine mutation qui, face à ces nouveaux impératifs écologiques et sociaux, décide de se dévoiler pour rassurer le consommateur. La mode désormais montre ses dessous. Elle fait acte de transparence.

Des podiums jusqu’aux carrés instagram, des éditos des magazines jusqu’aux campagnes de publicité, la mode lève le voile. Sourcing des fournisseurs, explication de la chaîne d’approvisionnements ou conditions de fabrication d’un produit… Plus rien n’échappe à l’oeil vigilant du consommateur en quête de vérité et d’authenticité. Les marques n’ont plus le choix, elle doivent suivre le jeu de la transparence. “On observe une grande différence dans les indices de transparence de la mode entre 2017 et aujourd’hui”, explique Catherine Dauriac, représentante de Fashion Revolution France. Depuis 2013 et l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, qui avait coûté la vie à plus de 1100 ouvriers, le mouvement libère la parole de cette industrie, autrefois opaque, afin de dénoncer ses abus et paradoxes. “Il y a véritablement eu un avant et un après Rana Plaza, poursuit-t-elle. Cette catastrophe, c’est le Titanic de la mode.” Depuis, le monde connaît le “True Cost” de ce qu’il porte. Fort de son hashtag #whomademyclothes, le mouvement Fashion Revolution a permis une véritable prise de conscience sur les conditions de travail et les méthodes de production de la mode. Une libéralisation de la parole et un éveil des consciences progressifs qui ont permis au consommateur de découvrir l’envers du décor et les vicissitudes d’un système enrayé par la tyrannie du chiffre et les affres de la mondialisation. Une économie linéaire où les pays en voie de développement deviennent les ouvriers clandestins d’un fast-system névrotique et parfois amoral où seul prime le besoin de productivité et de rentabilité. Face à cette prise de conscience généralisée, c’est tout un système qui se voit bousculer, toute une industrie qu’il faut repenser : toute une clientèle qu’il faut rassurer.

La mode a donc fait foi de transparence. En France, de nombreuses marques en vogue viennent confirmer cette tendance : Le Slip Français, Maison Standards, Veja, Ekyog, Panafrica ou encore Rive Droite Paris pour n’en citer que quelques-unes… “Nous avons publié un manifeste pour expliquer nos valeurs et nous montrons tout ce que nous fabriquons. Nous avons instauré un véritable dialogue avec nos clients”, explique Hélène Lucas, de la marque Panafrica. La digitalisation semble en effet avoir permis l’avènement d’une nouvelle forme de collaboration pour le moins inattendu : l’alliance des marques et des consommateurs. “Nous sommes une génération de sustainable native, renchérit Yasmine Auquier, la fondatrice de Rive Droite Paris. Nous partageons nos idées, réflexions et pistes de travail avec nos clients.” Mais cette collaboration n’est rendue possible que par un acte de transparence presque total. En publiant des informations sur ses méthodes de fonctionnement, une marque se met face à ses responsabilités et permet de générer de la confiance. C’est aussi une manière de fidéliser sa communauté.

L’ouverture, le dialogue et la transparence dans la mode, une tendance qui ne fait que s’amplifier ces dernières années, et la plateforme SloWeAre l’a bien compris. Au delà d’un simple mantra green, la première communauté “slow fashion” promeut un véritable art de vivre et un véritable mode de pensée tournée vers la “slow wear”. Alors, partisan de la “slow life” ? “Le consommateur est en quête de sens, il souhaite désormais comprendre ce qu’il se passe en coulisse et s’interroge sur la chaîne de production des marques ou l’usage de matière première. Il devient plus responsable et les marques doivent suivre cette nouvelle exigence”, explique Cindy Durdan de la marque éco-responsable Ekyog. Ainsi au delà d’un simple discours de façade, et face au danger de greenwashing, les marques doivent désormais accompagner leurs mots par des actes afin d’authentifier leurs engagements. Dans un monde de plus en plus rapide et complexe, le client veut désormais avoir la mainmise sur sa propre existence et redevenir comme maître et possesseur de sa consommation. Pour une mode moins noir, plus green. Transparente.