Talk IMPACT autour des DNVB et de leur nouvelle exigence éthique
Quel est le point commun entre Bonobos, Glossier, Reformation et Jimmy Fairly ? Ce sont des “DNVB” : des produits de l’ère digitale. Nées sur internet, on les appelle les “Digitally Native Vertical Brands”. Basées sur le business model “direct to consumer”, depuis quelques années leur expansion redessine radicalement les standards du retail et de sa chaîne de valeur. Réunis lors d’un talk “Impact” début septembre, Marie-Ann Wachtmeister, fondatrice de Maison Courbet, Alexandre Suermondt d’Angarde et Christophe Cordonnier de Lagoped sont venus débattre des DNVB et de leur nouvelle exigence éthique autour de Viviane Lipskier de BrandAlchimy.
Si en France, les DNVB sont encore peu connues du grand public, aux Etats-Unis, elles font les gros titres de la presse et affolent les foules comme la marque Reformation, cheffe de file de la fast fashion éco-responsable qui génère 100 millions de dollars de chiffres d’affaires. Le terme “DNVB” a été popularisé par Andy Dunn, le créateur de la marque Bonobos - la plus grosse marque de vêtements fondée aux Etats-Unis sur le web - pour décrire ce modèle “nouvelle génération” dont le développement se fait par le biais d’internet essentiellement. Des marques nées du digital - souvent créés par et pour les millenials - qui font figure d’outsiders de la mode. On les appelle déjà les surdoués du retail, et pour cause.
Les DNVB sont le reflet de l’époque : elles sont façonnées à l’image des consommateurs modernes. Connectées, elle expriment leur culture de marque sur le digital. Transparentes, elles favorisent un dialogue direct avec leurs clients selon un modèle vertical. Conscientes, elles sont fondées sur un véritable système de valeurs véhiculé par un storytelling sur-mesure. N’en déplaisent à leurs aînés, les DNVB sont dans l’air du temps. Plus encore, ces marques ont bien compris l’élan de déconsommation qui s’emparait de la société. Selon une enquête de l’IFM, 44% des consommateurs français ont acheté moins de vêtements en 2018 : 60 % par contrainte budgétaire et 40 % par souci écologique et éthique. Face à ce nouveau paradigme de responsabilité, les DNVB s’engagent et se positionnent sur ce marché porteur grâce à la diffusion de valeurs bien ancrées.
“Désormais, les marques doivent proposer un produit qui ait du sens, précise Alexandre Suermondt, co-fondateur des chaussures éco-responsables de la marque Angarde avec sa soeur Astrid. On assiste aujourd’hui à l’avènement d’une véritable philosophie du produit.” Le sens et la conscience au service de la mode donc, comme c’est le cas également de la marque Lagoped de Christophe Cordonnier, dont le nom rend hommage à un oiseau discret et pur, relique de l’ère glacière. Le designer puise son inspiration dans la nature et fabrique ses collections en adéquation avec ses valeurs, avec le plus de transparence possible.“ Tous nos produits sont 100% éco-responsables. La dimension éthique est primordiale.” Mais à l’époque de l’hyperconsommation mondialisée et de la fast-fashion, ces marques font encore figures de pionniers.
La mode est-t-elle alors en pleine révolution ? Face à la transition numérique, à l’urgence climatique et à un fast-system à bout de souffle, une génération de créateurs semble en tout cas avoir choisi son camp. La qualité mieux que l’abondance, le juste prix mieux que
l’illusoire accessibilité, la valeur humaine plutôt que le travail à la chaîne. Proposer une alternative luxe totalement éco-responsable, c’est le défi de Marie-Ann Wachtmeister, fondatrice de Maison Courbet, dont l’enseigne parisienne de joaillerie de luxe éthique avoisine celles des plus grands place Vendôme. Dans une industrie ultra conservatrice et opaque loin de l’idéal romantique que l’on prête au diamant, sa vision disruptive est un véritable pas en avant. “Le luxe n’a jamais été un milieu transparent : cela fait parti de son storytelling. Aujourd’hui, grâce à la technologie, on peut créer des diamants de laboratoire aussi beaux que les diamants naturels.” Une alternative qui semble avoir trouvé son public mais qui dérange dans un domaine de monopole régi par quatre géants.
L’éco-responsabilité, vous l’avez compris, n’est pas un parcours de santé. “Il faut réintroduire la notion de risque et de danger dans la mode, comme c’est le cas dans la nature”, souligne Christophe. Une philosophie de l’engagement que l’on retrouve du sourcing à la fabrication du produit et dont le cycle de vie ne s’arrête plus maintenant à la vente mais bien au delà. “La durabilité est au coeur de notre travail. Nous proposons même à nos clients de redessiner leur bijou avec le même matériau acheté afin de suivre les envies et goûts du consommateur”, précise Marie-Ann Wachtmeister. Tout comme Alexandre et Christophe qui ont pensé à un système de recyclage, de rénovation et de réparation des vêtements afin de promouvoir un véritable marché de seconde main. L’éco-responsabilité signe-t-elle alors la fin de l’obsolescence programmée ? Si l’utopie fait rêver, elle semble surtout faire agir.
Ces dernières années, c’est toute une industrie qui s’est ainsi vu bousculée au profit du modèle des DNVB : tout un marché qui s’est vu redessiné face à son succès. Si certains prédisaient à terme la fin du retail et la suprématie du e-commerce, force est de constater que ces deux modèles semblent aujourd’hui cohabiter comme en témoigne ces marques d’un nouveau genre. Dans un monde digitalisé, fait d’image et de connexion, le e-commerce répond à un désir d’achat du consommateur : rapide, facile, efficace. Instagram a même lancé en 2018 la fonctionnalité “Shopping” sur les posts et dans les stories pour privilégier ce système “direct to consumer”. Mais dans une société en quête de sens et d’authenticité, le retail permet un retour au vécu et à l’expérience, nouvelle pierre angulaire de la société de consommation et credo affirmé des DNVB. Il y a un vrai lien émotionnel qui se développe aujourd’hui entre ces marques et leurs clients. L’expérience proposée fédère une communauté loyale et pérenne qui fait réellement leur valeur ajoutée. La mode aujourd’hui crée une véritable appartenance culturelle autours de valeurs communes et s’érige désormais au delà de ses enjeux mercantiles comme un mode de vie, un mode de culture, une mode de sens.