La Mode repousse ses frontières et adopte la non-norme
Depuis quelques années, la Mode repousse ses frontières.
Une nouvelle génération de Designers se joue des diktats et des normes pour créer un vêtement qui lui ressemble et lutter contre les différentes formes de discriminations. La norme, désormais, est à la non-norme. L’altérité et la diversité sont désormais érigées en culte, repoussant toujours plus les stéréotypes d’une mode à oeillères. C’est autour de ce principe d’inclusion, nouveau fer de lance de la Mode et du Luxe, que sont venus débattre Nicolas Lecourt Mansion, Designer à l’esthétique radicale et innovante, et Cécile Vivier-Guérin, Directrice Marketing d’Eurovet autour de Julie Pont, journaliste spécialisée dans la Mode.
Nicolas Lecourt Mansion collection SS20
La mode est le reflet de la société et des grandes mutations qui la régissent. Dans une époque où l’on se questionne sur la notion d’identité dans son ensemble - culture, origine, genre, physique... - la mode suit le mouvement et s’affranchit peu à peu de certains codes et stéréotypes. Si la marge et les sous-cultures constituent en tout temps des sources d’inspiration pour les designers, le culte de la différence est aujourd’hui érigé en valeur suprême poussant les marques et les grandes maisons de luxe à adopter un discours d’inclusion. Alors épiphénomène, bienpensance marketée ou changement profond de l’industrie de la mode ? L’avenir nous le dira.
Des campagnes publicitaires affichées dans la rue jusqu’aux plus hauts sommets des podiums, on observe un véritable changement de paradigme : celui d’une mode exclusive et segmentée à un discours de pseudo réconciliation avec l’autre et avec soi. Le corps “parfait”, dicté par l’influence des années 80 et des “supermodels”, est désormais pointé du doigt à la faveur d’un retour au réel. Le vêtement doit être la représentation de celui qui les porte et plus seulement d’un idéal inatteignable. Les réseaux sociaux ont permis à des mouvements comme le “body positive” d’impacter véritablement les grandes marques qui célèbrent désormais la diversité des silhouettes. Et gare à celles qui ne suivent pas le mouvement comme en témoigne la chute libre du géant de la lingerie américain Victoria Secret qui ne cesse d’essuyer critiques, boycotts et scandales. Une transition appuyée par les consommateurs donc et notamment les Millenials. “Les consommateurs sont prêts. Il faut changer les codes et les mentalités, montrer qu’un corps plus rond ne fait pas disparaître pour autant la part de rêve, explique Cécile Vivier-Guérin. L’inclusion passe aussi par le consommateur qui montre le chemin aux marques. Cette démarche est d’autant plus facilitée par les réseaux sociaux qui véhiculent la promotion de ces mini-actions pour en faire un véritable mouvement de fond collectif”, conclut-t-elle.
La mode longtemps décriée pour son exclusion semble élargir son horizon. Adu Akech défie les podiums, l’égérie transgenre Hari Nef fait désormais parti de l’écurie Gucci tandis que la mannequin Halima Aden défile pour Max Mara ou Kanye West et fait la couverture de Vogue. Avec Instagram notamment, des minorités jusque là, peu visibles sont devenues très influentes comme en témoigne les carrières de mannequins internationaux comme Winnie Arlow, Molly Bair ou encore Maeva Marshall, rendues célèbres grâce à leur particularité physique dite “atypique” et qui attestent d’une mode qui se veut hors-système et hors norme. La singularité désormais fait loi et la communauté est là pour mieux la mettre en lumière et l’assumer comme en atteste notamment les tribus de Gucci et de son Directeur Artistique Alessandro Michele qui célèbre l’éclectisme des corps, des styles et des silhouettes. Une redéfinition des canons de beauté qui fascine autant qu’elle dérange. Le besoin de représentativité est incontournable aujourd’hui dans la mode, comme en atteste la représentation croissante de la communauté gender fluid ou l’explosion du street-wear et la fascination du luxe pour la culture urbaine, autrefois en marge, atteint son point culminant avec la nomination de Virgil Abloh à la tête de Vuitton.
Car la nouvelle norme c’est l’absence de normes. “Je n’essaie pas d’inclure ni d’exclure, rappelle Nicolas Lecourt Mansion. La véritable inclusivité, c’est quand on n’entre pas dans des cases car plus tu cibles, plus tu stigmatises une cible, plus il y a d’inégalités. Je veux faire paraître l’évidence : aucune différence n’existe.” Un point de vue radical et sans concession à l’image d’une nouvelle vogue de designers bien décidés à casser les codes de leurs aînés et qui remettent le vêtement au centre de la réflexion. “Pourquoi imposer des standards lorsqu’il existe des corps multiples ? Pourquoi ne pas prendre en compte toutes ces aspérités et différences”, poursuit le créateur diplômé de l’Atelier Chardon Savard en 2016. La radicalité devient ainsi le nouveau fer de lance de cette génération prête à en découdre avec tous les stéréotypes véhiculés dans l’industrie de la mode. Mais cette exigence a un prix et relève d’un véritable défi technique, comme en témoigne l’éthique de fabrication du jeune styliste digne d’une grande maison de couture. “Je connais mon travail, la technique et le vêtement, c’est juste une enveloppe. Tout est une question de sizing”, conclut-il.
L’âge, le genre, la taille, la couleur de la peau, l'identité sexuelle... la Mode peu à peu s’émancipe de ses vieux diktats. Face à une société en éveil, les marques et Maisons de Luxe repensent leur manière d’appréhender le vêtement, s’ouvrant à la diversité et rejetant l’élitisme. La création au service du corps et de l’individualité, une éthique qui fait toutefois encore figure d’exception dans la Mode, à l’ère de la mondialisation et de la fast-fashion. Encore aujourd’hui, une myriade de marques témoignent haut et fort de leur volonté d’inclusion, sans pour autant que celle-ci ne se ressente véritablement dans les collections. Mais cette transition - même avec sa dose de greenwashing - est sans doute nécessaire pour s’extraire doucement d’une industrie du rêve à celle d’un retour à la réalité.
“La mode sait se remettre en question et évoluer. L’inclusion, tant qu’elle est sincère, même à une petite échelle reste de l’inclusivité” conclut Nicolas Lecourt Mansion.